Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

COMMENT DEPASSER PICASSO?

13 janvier 2010

LA RENAISSANCE AFRICAINE : IL EST TEMPS DE RECENTRER LE DEBAT SUR SA PROBLEMATIQUE

Au lieu d’être saisie au Sénégal comme une opportunité d’échange fécond, l’édification du monument de la renaissance a généré dans ce pays une cacophonie qui donne l’impression que certains parmi nos compatriotes veulent s’ériger en directeurs de conscience sur d’autres, là où la probité intellectuelle, en interrogeant la grande Histoire, exige de chacun l’humilité et le respect dû à ses semblables, seul gage d’une coexistence pacifique entre les composantes d’une communauté. L’amplification de ce tintamarre n’a malheureusement pas manqué de jeter le feu entre Chrétiens et forces de l’ordre sur l’avenue de la République. S’il faut, avec l’année nouvelle, espérer un retour à de meilleurs sentiments entre l’Eglise et le Pouvoir, c’est aussi l’occasion pour les artistes, toutes sensibilités confondues, de mesurer les enjeux du moment et de se prononcer sur la renaissance africaine, en se rappelant qu’ils sont conviés à ce banquet pour jouer le rôle avant-gardiste d’animateur culturel.
La renaissance dans un territoire de souveraineté qui peut dépasser les frontières d’un pays apparaît comme un courant d’aspirations nouvelles, à l’instar des mutations qui se sont opérées au XVIe siècle dans toute l’Europe, avec l’Italie comme fer de lance depuis le siècle précédent. En France, ces élans enthousiastes ont été coordonnés par François Ier, que l’Histoire a consacré comme facilitateur de leur mise en chantier. Autant préciser qu’il s’était lui-même défini comme le protecteur des savants, des écrivains et des artistes.  C’est un phénomène tout à fait naturel, qui advient dans la vie de tous les peuples, en réaction contre un état de trouble profond ayant affecté durablement le cours de leur Histoire. La renaissance s’est déjà manifestée dans plusieurs parties du globe. Dans le cas de l’Afrique, après six siècles de malheurs conçus hors du continent au profit d’étrangers qui fondaient leur supériorité sur la couleur de leur peau, la renaissance c’est l’exigence d’un retour à la vie, avec tout ce que cela implique comme liberté de pensée et d’action, d’invention et de création, répondant à un besoin d’épanouissement intégral, individuel et collectif, pris en charge par une bonne gestion de la cité dans tous ses secteurs, sous l’inspiration d’un idéal de grandeur dans lequel les arts et les lettres s’offrent comme les lieux de manifestation de sa splendeur programmée. Ce besoin de souffle nouveau qui remonte au XVIIIème siècle, avec Toussaint L’Ouverture, a traversé de nombreuses étapes avant de se cristalliser en juillet 2000 avec la création de l’Union africaine. Il va de pair avec le projet de l’intégration dans notre continent.
Il y a cependant lieu de se demander si l’intégration et la renaissance en Afrique ne sont pas en train d’être biaisées par la récente polémique orchestrée autour de la statue des Mamelles sur des considérations religieuses. Cette polémique, ne cache-t-elle pas une volonté de subversion dirigée contre les masques et les statuettes, témoins de notre passé, et au-delà de ces objets, contre le patrimoine contemporain qui en est le prolongement et qui résulte en grande partie des programmes de formation dispensés dans les écoles des Beaux Arts?
Si les réponses susceptibles d’être apportées à ces questions ne sont pas de nature à porter préjudice aux artistes, c’est tout ce qu’ils peuvent souhaiter. Dans le cas contraire, il leur sera aisé de comprendre qu’il s’agit bien d’une invite à un rapport de force dans lequel, à leur corps défendant,  ils n’hésiteront pas de s’engager, intra muros s’ils ne prennent pas le chemin de l’exil à cet effet. C’est pourquoi, afin de prévenir la division qui pourrait en surgir, il est permis d’évoquer en guise d’exemple les guerres de religion qui se sont déroulées en France au XVIème siècle et qui n’ont pas empêché la renaissance de se réaliser dans ce pays, pour dire simplement qu’après les secousses, il n’y aura que des regrets. Par conséquent il n’est pas inutile de rappeler aux Sénégalais que les artistes ont besoin de paix pour remplir leur mission en tant créateurs de valeurs. Ce sont des gens qui se construisent généralement dans la douleur. Par conséquent ils n’accepteront jamais que leur dignité soit bafouée. « Si tu veux la paix, protège la création. » a dit le Saint Pape Benoît XVI lors de la 43e Journée mondiale pour la Paix : un message récent qui, sans  confusion de genre, recoupe un avis émis par Alioune BADIANE ancien Directeur des Arts, lors d’une exposition de l’artiste plasticien Kambel DIENG à Gorée, il y a quelques années : « Un pays où les artistes ne vivent pas en paix ne saurait prétendre à la paix. » 
Il convient à présent de recentrer le débat dans les limites de la laïcité, avec le postulat selon lequel l’idéologie, qu’elle soit confessionnelle, confrérique ou doctrinale, n’a plus la vocation de s’imposer à ses destinataires, d’autant que le réveil des consciences a été rendu possible grâce à l’esprit critique sans lequel aucune adhésion à un discours n’est louable. Or donc l’Etat garantit à tout un chacun la liberté de culte au même titre que la liberté d’expression. Il est par ailleurs important de souligner que les Sénégalais n’ont pas le monopole de ce débat déjà engagé par l’Union africaine en octobre 2004. Ce débat doit être poursuivi par tous les peuples d’Afrique, les Sénégalais en particulier. Ce faisant, l’inauguration du monument de la renaissance est un moment pour eux de s’approprier les objectifs de l’intégration africaine et approfondir la réflexion sur sa mise en œuvre, dans une dynamique de convergence vers une autre manière de vivre éloignée de tous les maux que le continent a enregistrés, même après les indépendances.
Quel paradigme culturel pour l’Afrique de demain ? La problématique de la renaissance africaine n’est autre chose que cela. Elle interpelle inévitablement les artistes sur l’esthétique qu’il convient de promouvoir dans cette aventure. Dans le domaine des arts plastiques, les acteurs concernés ne doivent pas se laisser embarquer par le modèle gréco-latin dont la statue des Mamelles est une parfaite illustration. En Europe il est dépassé depuis le début du XXème siècle, lorsque Pablo PICASSO et son groupe ont rencontré la sculpture africaine dont l’influence est à l’origine du bouleversement qui a marqué l’Histoire de l’art occidental. Cependant la tentation n’en est pas moins grande, du moins pour les artistes sénégalais, quand elle est portée par le rêve de sortir de l’anonymat en bénéficiant des faveurs du Président Abdoulaye WADE. Celui-ci n’a aucun intérêt à favoriser ce modèle au risque de tuer la créativité qui s’est développée exponentiellement dans notre pays depuis la retraite politique de Léopold Sédar SENGHOR. Rappelons à cet égard que sous la magistrature du Président- Poète, la plupart des artistes, pour faire bonne presse dans son entourage, ne s’inspiraient que des masques et statuettes, sous la conduite d’un Français, Pierre Lods, qui avait créé l’Ecole de Poto-poto de Brazzaville et dont l’enseignement, s’il en existait, ne reposait guère sur l’imitation de la nature. Ainsi l’Ecole de Dakar, à l’image de l’Ecole de Poto-poto dans la conception de son précurseur, était tout à fait opposée au modèle gréco-romain. Cependant, sans entrer dans les caractéristiques des œuvres d’art issues de cette formation qui se faisait en atelier libre, le constat a été que, malgré la grande notoriété dont elles ont joui, à l’époque, hors du continent, sous l’impulsion du Festival mondial des arts nègres de 1966, elles ont souffert d’un manque de lisibilité au regard du public sénégalais : beaucoup de gens n’y comprenaient rien, d’autant plus que les thèmes qui les inspiraient portaient généralement sur des choses qui, malgré leur proximité avec le vécu de ce public, relevaient d’un monde ésotérique, que ne pouvait par conséquent pas pénétrer n’importe qui. Par exemple : les génies, les mythes, les fétiches. C’était une entreprise d’enracinement sans ouverture en bute à des limites dont il faut laisser la détermination aux critiques d’art. On peut toutefois accorder à l’Ecole de Dakar un statut de précurseur d’un art qui poursuit encore la recherche de son identité et de son point d’ancrage dans des groupes dont chacun se caractérisera par une doctrine et un style d’expression, menant ses activités autour d’un maître, artiste plasticien comme les autres. La problématique de la renaissance africaine, dans le domaine des arts plastiques, est ainsi ramenée à une problématique de promotion de courants et de mouvements. C’est là qu’il convient de convoquer l’exposition des œuvres de PICASSO à Dakar (en 1972) et ailleurs en Afrique pour comprendre qu’au-delà de leur parenté avec la sculpture africaine dont la constatation par les Africains eux-mêmes va de pair avec leur fierté retrouvée dans l’importance que les Européens accordent depuis « Les Demoiselles d’Avignon » à des objets qu’ils considéraient antérieurement comme des choses insignifiantes, elles interpellent aujourd’hui les artistes africains sur la nécessité de réinterroger en profondeur l’expérience des cubistes, pour se réorienter en tenant compte de ses limites comme de celles des expériences en cours dans l’art africain contemporain, y compris celui de l’Egypte dont l’antiquité, d’ailleurs, regorge de trésors, afin de répondre en terme d’identité et de lisibilité à l’attente d’un public dont une grande frange demeure encore analphabète. En effet ce public a besoin non seulement de se retrouver dans les œuvres qui s’offrent à leur appréciation mais aussi d’en comprendre le contenu plastique, esthétique et même poétique, ce qui suppose un déchiffrage accessible de ces trois aspects.
Concernant l’esthétique de la statue de la renaissance, ce produit de l’imagination doit sa réalisation à la maîtrise des lois qui régissent la perspective et les rapports de proportion dans l’art figuratif pur et dur. L’acquisition de ces lois passe par l’imitation de la nature (la mimesis grecque) qui est au cœur des enseignements dispensés dans toutes les écoles des Beaux Arts du monde. Dans le cas d’espèce, il s’agit d’une imitation surdimensionnée qui fonctionne sur le registre du gigantisme et de la hauteur mais aussi de la pesanteur vaincue par une force de propulsion qui lui est supérieure et qui n’est rien d’autre que celle du feu dont le référent premier, ici, est celui du volcan, mais qui renvoie métaphoriquement à la douleur de l’enfantement qu’éprouve la femme dans ses entrailles. A noter par ailleurs que le terme « entrailles » qui dans son sens premier désigne l’ensemble des organes contenus dans le ventre est utilisé aussi dans le langage poétique comme une métaphore pour signifier l’intérieur du volcan. Voilà la poétique de la dite statue qui résume tout son sens dans le mouvement vers le ciel conduisant dans l’unité les trois personnages. En effet aucun d’entre eux n’est isolé des autres. Il faut reconnaître enfin que les traits de leurs visages respectifs sont de type négroïde. Ainsi cette statue, en dehors de toute considération politique, financière et confessionnelle, est le symbole même de la renaissance et de l’intégration en Afrique.

Publicité
Publicité
COMMENT DEPASSER PICASSO?
  • Ce blog a pour objectif de répondre à cette question en présentant les oeuvres de son auteur, artiste plasticien, professeur d'éducation artistique et grand admirateur du peintre de Malaga. Son nom: Mohamed Clédor BITEYE
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Publicité